Les phares du cap Fréhel.
Le cap Fréhel est un point remarquable pour
la navigation, par sa position avancée dans la mer de la Manche,
entre la baie de Saint-Brieuc et la rade de Saint-Malo. Aussi a-t-il
de tout temps servi de point d'atterrissage pour les marins à
destination de ce dernier port : navires de commerce revenant des Antilles,
d'Amérique du Sud ou des Indes, morutiers de retour de Terre-Neuve,
corsaires ou pirates adeptes du trafic interlope, tous se retrouvaient
sur les quais de la cité malouine. Cependant la rade est difficile
d'accès, elle n'est pas abritée des vents du Nord-Ouest
au Nord-Est, les courants y sont violents, le marnage parmi le plus
important d'Europe et les sept passes étroites sont encombrées
de roches aussi nombreuses que dangereuses telles que les Courtis, le
Buron, le Boujaron, la Moulière...
Aussi dès l'année 1650 nous affirme l'abbé Manet
qui s'intéressa de manière approfondie à l histoire
de la ville de Saint-Malo (Histoire de la petite Bretagne, Saint-Malo,
1834) comme le commerce malouin prenait chaque jour plus d'ampleur les
autorités locales décidèrent d'établir un
feu au sommet de la tour déjà construite sur l' île
des Ehbiens en avant de la pointe du chevet. Il s'avéra cependant
plus judicieux de l'installer sur la pointe de Fréhel "côte
hardie, abrupte et coupée à pic, que sa grande élévation
fait découvrir de très loin ". Trois gros flambeaux
de suif et de térébenthine brûlèrent sans
doute au sommet d'une tour dont nous ne connaissons pratiquement rien
sinon un dessin sommaire sans doute dû à la plume de l'abbé
Manet. Ce croquis nous montre qu'à côté
des flambeaux on pouvait brûler du bois ou du charbon dans un
réchaud de fer.
Entretenus par les uniques soins des commerçants et armateurs
malouins ces cierges ne donnèrent que peu de satisfaction car
ils n'éclairaient qu'à faible distance et s'éteignaient
par grand vent c'est-à-dire dans la situation qui réclamait
le plus leur présence aussi furent-ils remplacé par un
brasero où se consumait à l'air libre un feu de charbon.
L'entretien d'un tel feu nécessitait des sommes assez considérables
et rares étaient les ports français capables de s'offrir
une telle aide à la navigation. Seule la grande richesse de la
ville pouvait expliquer ce sacrifice; Béchameil de Nointel
intendant de Bretagne de 1692 à 1704 indiquait en 1698
que les armateurs de Saint-Malo étaient assez opulents sous Louis
XIV et Louis XV pour entretenir à leurs frais, le fanal du cap
Fréhel.
Quoi qu'il en soit il faut arriver à l'année
1687 pour disposer de documents fiables concernant l'historique des
phares de Fréhel. Des aveux conservés aux archives des
Côtes-d Armor nous apprennent que la ville de Saint-Malo acheta
le 26 septembre au comte de Gassey, seigneur de Matignon,
" une quantité de terre et rocher, d'une contenance de trois
journeaux, au-dessus de ce que la mer couvre, en place plate, sans falaise
ni vallée située sur la pointe du cap Frehel sur laquelle
doivent être bâtis la tour et le fanal du cap" ; la
première tour devait déjà présenter de sérieux
défauts pour envisager si rapidement la construction d'un nouvel
édifice destiné à la sécurité de
la navigation. Le projet n'aboutit d'ailleurs pas et cette entreprise
ne fut réalisée qu'après la seconde tournée
d'inspection de Vauban sur les côtes Nord de
la Bretagne en mai 1694 au cours de laquelle il inspecta les travaux
de défense dirigées par les ingénieurs Niquet
et Garengeau. La construction de la nouvelle tour s'inscrivait
dans un programme général d'amélioration du système
de protection des côtes du royaume afin de résister aux
attaques des flottes anglaises. Ce fanal devait par un feu allumé
à son sommet, d'une part prévenir de tout danger de débarquement
la garnison de Fort-la-Latte et d'autre part baliser plus efficacement
la côte en signalant aux vaisseaux l'atterrissage de nuit sur
Saint-Malo. De cette époque, aussi datent les phares du Stiff
à Ouessant, des Baleines
sur l'île de Ré et
de Chassiron sur l'île
d'Oléron. Le plan et le devis du fanal de Saint-Malo
furent dressés le premier octobre 1701 par l'ingénieur
Garengeau "pour la construction d'une tour qui
servira de fanal laquelle sera size sur la pointe du cap de Frehel selon
un plan-type de l'époque : faire ce fanal en tour ronde avec
un escalier à vis, diviser la hauteur en 3 étages par
2 planchers.Au rez-de-chaussée le charbon de terre, au-dessous,
corps de garde en temps de guerre et le 3ème et dernier pour
le gardien qui aura soin d'entretenir le feu...Sur la plateforme on
posera le foyer qui sera de fer en forme de réchaud comme celui
d'Ouessant, nouvellement fait." L adjudication se déroula
le 26 octobre suivant les devis, plans et élévations qui
en ont été dressés par le Sr Degarangeau,
ingénieur en chef de ce département et elle fut enlevée
par Gilles Martin Fremery entrepreneur à Saint-Malo pour
la somme de 6890 livres. L entrepreneur pouvait de plus se servir pour
la nouvelle construction des matériaux récupérés
sur l'ancienne tour "moyennent quoy il en fera la démolition
et rendra place nette". En définitive le prix total s'éleva
à 7090 livres car le sieur Frémery connut des difficultés
d'approvisionnement pour les pierres de taille qui provenaient des Chaussey;
de plus il fut contraint d'abandonner un escalier en bois de chêne
pour le remplacer par des pierres, modifications suffisantes pour augmenter
d'autant le devis initial. Les travaux furent achevés en 1702
sous le contrôle du Conseil de la Marine et le premier gardien
fut nommé le 8 novembre de cette même année.
L'entretien du feu et des bâtiments restait à l'entière
charge de la ville de Saint-Malo qui, par mesure d'économie,
ne l'allumait que durant les mois d'hiver, pratique courante à
l'époque. La Marine considérait cette extinction semestrielle
comme préjudiciable à la navigation et à la sécurité
de ses navires si bien qu'elle ordonna qu'à partir du premier
mai 1717 le feu serait allumé toutes les nuits de l'année;
le financement de cette opération devait être assuré
par une taxe de deux sols par tonneau perçue sur chaque navire
qui entrait dans les ports de Bretagne entre le cap Fréhel et
Régneville. Le montant de la taxe passa à trois sols par
tonneaux en septembre 1733 et cette pratique perdura jusqu en 1792 date
à laquelle le jeune gouvernement décidait d'assurer l'ensemble
des tâches concernant les aides à la navigation, phares,
bouées et balises. En mai 1717 pour recevoir et abriter des quantités
bien plus importantes de bois et de charbon l'ingénieur Garengeau
établit le projet de construction d'un hangar réalisé
par l'entrepreneur Beauchesne de Saint-Malo. Toujours en mai,
Antoine Thévenard, serrurier à Saint-Malo, fut déclaré
adjudicataire pour 5 ans de l'entretien du feu pour la somme de 2000
livres versées par la ville quitte à lui d'allumer et
d'entretenir le feu.Parallèlement des receveurs étaient
établis à Saint-Malo, Cancale, Régneville et Granville.
Mais les plaintes s'accumulaient ; les marins pestaient contre la taxe
surtout que le feu ne présentait pas un caractère d'absolue
confiance car trop souvent éteint à leur goût. En
mars 1719 une enquête fut menée pour confirmer les dires
des pilotes et capitaines de Saint-Malo et il apparaissait que le service
présentait de nombreux défauts. La ville et l'Amirauté
renouvelèrent cependant leur confiance à Thévenard
qui remporta en 1722 la nouvelle adjudication, pour 5 années
à raison de 3000 livres par an. Au début de l'année
1726 le sieur Garengeau, ingénieur, directeur des fortifications
de Saint-Malo, chevalier de l'ordre de Saint-Louis, dressa un devis
se montant à 500 livres pour couvrir des réparations diverses
à effectuer au phare. L'adjudication des travaux eut lieu le
30 janvier et fut remportée par l'entrepreneur malouin Gouvier.
Le 9 août 1727 se déroula la troisième adjudication
pour l'entretien du feu en présence de nombreux candidats mais
Thévenard conserva encore son poste pour 1970 livres par
an, somme insuffisante pour assurer un service correct. Rapidement en
déficit on parle de la résiliation de son bail et en 1729
la communauté de la ville accepte à l'unanimité
de se charger elle-même de l'entretien de ce feu pour la plus
grande joie des armateurs et des capitaines malouins. Le service s'en
trouva nettement amélioré car la ville décida de
confier la garde du foyer à deux gardiens se relayant chaque
nuit autour du fourneau.
En 1774 un nouveau système d'éclairage fut installé;
à la suite d'un concours ouvert à Paris par le lieutenant
de police Sartine, l'éclairage public des rues, qui jusqu'alors
se faisait avec des chandelles, connut une nette amélioration
par l'emploi de réverbères composés de lampes à
mèches plates et de réflecteurs paraboliques. Ce perfectionnement
notable ne tarda pas à être également introduit
dans la douzaine de phares que connaissait alors le royaume pour remplacer
les foyers ouverts gros consommateurs de combustibles.Cette substitution
débuta en 1770 ou 1771 pour les tours de Sète
et de Saint-Mathieu, en 1774
pour celle du Planier en face de Marseille,
en 1775 pour celle de Fréhel, en août 1777 à
Chassiron, en septembre 1779 aux Baleines,
en novembre 1779 à la Hève
au-dessus du port du Havre, fin 1780 à Barfleur
et au cap de l'Ailly, en 1782 au
Stiff et à Cordouan.
La plupart des appareils furent fournis par Pierre
Tourville-Sangrain, "entrepreneur de l'illumination des rues
de Paris" . Abrités par des lanternes aux montants métalliques
et aux panneaux de verres, ils différaient entre eux par le nombre
et la dimension des réflecteurs; 80 à Cordouan, 60 à
Fréhel disposés sur trois rangs superposés. D'autre
part ces réflecteurs pouvaient ou non tourner autour d'un axe
de façon à présenter une lumière intermittente
ou fixe sur l'horizon. Au cap Fréhel, le feu était fixe.
En général l'accueil des marins resta mitigé car
les lampes sans cheminée fumaient beaucoup d'autant plus que
les huiles utilisées, mélanges d'huile de baleine et d'huile
de colza, demeuraient très impures. Les appareils produisaient
peu de lumière et les risques d'incendie étaient élevés
: ainsi le 22 août 1780 la ville de Saint-Malo fut obligée
de prêter 2 000 livres au baillage pour remettre en état
les réverbères abîmés par un incendie survenu
quelque temps auparavant. Pourtant l'appareil resta en place et la communauté
continua d'assurer sa gestion jusqu'à la promulgation de la loi
du 15 septembre 1792 qui plaçait la surveillance, l'entretien
et la construction des phares, des amers, des bouées et des balises
dans les attributions du Ministère de la Marine, avec le conseil
des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Dès lors
les capitaines cessèrent de s'acquitter de la taxe de trois livres
car dorénavant l'État seul prenait à son entière
charge tous les frais d'entretien du feu de Fréhel. Il convenait
de réfléchir au moyen le plus efficace d'alimenter les
feux existants. Auparavant Pierre Tourville-Sangrain, après
avoir installé ses réverbères dans les phares de
quelque importance; le gouvernement royal avait décidé
qu il s'avérait plus facile d'en confier l'entretien et l'approvisionnement
pour des périodes de neuf ans à ce même entrepreneur.
Un premier contrat avait été passé en septembre
1779 pour plusieurs phares dont celui de Fréhel, renouvelé
en 1788. En 1793 l'état républicain reprit cette solution
dans la mesure où le système fonctionnait correctement
et laissa courir le bail jusqu au 2 thermidor An VI (20 juillet 1797)
date à laquelle il fut reconduit dans les mêmes termes.
Les administrations locales ne perdirent pas de temps et s'acquittèrent
de cette nouvelle tâche; dès le 9 août 1793, le citoyen
Jacques Piou, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées
à Saint-Brieuc, communiquait aux Citoyens administrateurs du
département des Côtes-du-Nord "l état de 300
livres, dues au citoyen Devaux, ferblantier à Saint-Malo,
qui à ses frais a fait réargenter à Villedieu les
plaques des réverbères du phare du cap Fréhel ".
En 1800, les ingénieurs Piou et Mauger, prenaient
connaissance et rendaient compte de l'état du phare et de l'appareil
: "les becs à réverbères employés à
l'éclairage sont au nombre de 60 et ils sont disposés
par 3 rangs, portés par autant de cercles en fer, assemblés
convenablement sur leur axe commun, formant un cylindre vertical et
évidé de 1m50 de diamètre sur 0m86 de hauteur.
20 de ces becs sont portés sur chaque cercle et les becs latéraux
de leurs réverbères se touchant ils occupent les 3/4 de
circonférence de ce cercle tourné vers la mer. Chaque
bec a trois centimètres de largeur sur 8 millimètres d'épaisseur,
et il est garni d'un porte mèche dont l'orifice de 22 millimètres
de longueur sur 4 millimètres de largeur reçoit une mèche
de mêmes dimensions. Le réverbère fixé derrière
chaque bec à environ 18 centimètres de largeur aux pareilles
hauteurs. Les mèches de coton et l'huile sont de bonne qualité"
. L entretien et l'approvisionnement du feu était assuré
depuis le 30 juin1801 par la nouvelle compagnie adjudicatrice, Desporges
et Eyriès "entrepreneur général de l'éclairage
des phares de France" . Ils remportèrent aussi les deux
soumissions suivantes en 1804 et en 1807.
Le 7 mars 1806 un décret impérial rédigé
à Posen réunissait les phares, tonnes et balises au seul
département de l Intérieur dont dépendaient les
Ponts et Chaussées. Le 24 décembre 1806 le Directeur général
de ce service, Montalivet, donnait avis au préfet des Côtes-du-Nord
qu il devrait dorénavant assurer le service du phare du cap Fréhel
avec les ingéneiurs du département et les entrepreneurs
de l éclairage, les Sieurs Desforges et Eyriès. Il mettait
aussi à sa disposition sur les fonds généraux des
ports, les sommes qu exigera l entretien du phare du cap Fréhel
. En janvier 1807 l ancien gardien du phare était chargé,
jusqu à nouvel ordre d en continuer la fonction alors que l
inventaire et la prise de possession étaient assurés par
l ingénieur ordinaire de Lamballe. Hélas deux mois plus
tard, le 27 février, le Directeur Montalivet était prevenu
des dommages considérables survenus au phare du cap Fréhel,
par l effet d une tempête qui a brisé à tel point
les vitrages de la lanterne que le service de ce fanal a cessé
d avoir lieu, faute de pouvoir tenir les lampes allumées . L
ingénieur en chef dressait un devis des réparations évaluées
à 1384 francs et effectuées au printemps; on profita de
la circonstance pour blanchir à la laitance de chaux les murs
de la tour afin de la rendre plus visible de la mer. Déjà
en 1810 de nouvelles réparations s imposaient pour consolider
les enduits extérieurs et la lanterne qui présentaiet
des signes évidents de délabrement mais aussi pour réargenter
les réflecteurs. Le feu cependant ne présentait toujours
qu une médiocre lueur sur l horizon et les plaintes parvenaient
toujours plus nombreuses sur le bureau de l Amirauté qui transmettait
au ministère de l Intérieur. Le 23 décembre 1816
le comte Louis Mathieu Molé, directeur général
des Ponts et Chaussées prévenu des récriminations
des capitaines locaux s inquiétait auprès de l ingénieur
en chef Freton-Dumousseau. Ce dernier lui répondit qu il y avait
déjà fort longtemps que l éclairage du phare du
Cap Fréhel est défectueux ; il se rendit sur place pour
constater l importance des dégâts et conclut qu il était
indispensable de changer le système d éclairage et la
lanterne. Quant aux plaintes concernant la négligence des deux
gardiens il répondit qu on ne pouvait imputer avec justice aux
deux gardiens de mettre de la négligence dans leur service. Ce
sont les glaces qui se ternissent par la fumée des lampes . Il
convenait donc d abandonner rapidement le système archaïque
des 60 réflecteurs.
Le 11 juin 1817 le Directeur général prévenait
le préfet des Côtes-du-Nord de l arrivée imminente
de 8 lampes à courant d air ou lampes Argand avec leurs réflecteurs
paraboliques, ensemble imaginé par l ingénieur Teulère
et qui présentait alors les meilleures qualités d éclairage.
Il donnait satisfaction depuis son inauguration en 1790 au phare de
Cordouan . Les ordres étaient donnés pour que l ingénieur
en chef s occupe de modifier la lanterne laquelle devait recevoir le
nouveau système. Il notifiat aussi que dans le cas où
cette lanterne ne serait pas susceptible de recevoir ces modifications
, il fallait rédiger rapidement un projet d une nouvelle lanterne
pour être exécuté aussitôt . Des ordres furent
donnés également pour faire fabriquer à Paris,
et être envoyé à Saint-Brieuc, un mouvement d horlogerie
propre à entraîner le mouvement de rotation qu il a été
jugé nécessaire de donner au système de ce phare
afin de présenter sur l horizon des éclats d une dizaine
de secondes toutes les 165 secondes à une portée de 7
lieues environ. Avec quelques retards, le Directeur Becquey annonçait
le 3 juin 1820 qu un partie des objets destinés à l amélioration
du phare du cap Fréhel vient de partir de Paris. Le complément
sera expédié sous peu de jours . L installation s effectua
au cours de l été 1821 et la mise en service le premier
septembre; ces opérations entraînèrent des dépenses
de 3000 francs. L appareil donna toute satisfaction et resta en place
jusqu en 1847.
En juillet 1832 l ingénieur en chef Lecor s inquiétait
de l exiguïté du bâtiment et signalait qu il n offrait
que deux chambres assez resserrées pour loger les gardiens,
l une au premier l autre au 2ème étage de la tour occupées
toutes les deux par le même à cause de leur peu de commodité.
Le gardien nouvellement arrivé n ayant pu s y fixer, de même
que le premier, s est réfugié dans le magasin extérieur
situé en face, auquel il a été fait provisoirement
quelques réparations . Pour améliorer cette délicate
situation l ingénieur proposait la construction d un nouveau
logement et des réparations importantes à l ancien. Le
projet fut approuvé le 29 novembre et les travaux furent exécutés
par le Sieur Nivet, entrepreneur.Cette même année on allumait
le premier décembre le feu provisoire des Héaux de Bréhat
installé au sommet d un échafaudage en bois; la construction
de la tour définitive commençait en 1836. Le phare des
Sept-Îles était allumé quant à lui le premier
mai 1835 au sommet d une tour circulaire déjà existante,
sans doute un ancien élément du monastère. Le littoral
français connaissait alors une formidable amélioration
des moyens nocturnes de reconnaissance, mais déjà à
cette époque on savait le temps des réflecteurs révolus.
En effet, l ingénieur et savant Augustin Fresnel avait imaginé
et réalisé depuis une douzaine d années déjà
des appareils d éclairage lenticulaires beaucoup plus puissants
dont le premier fut installé au sommet de la tour de Cordouan
à l embouchure de la Gironde et allumé le 25 juillet 1823.
La taille et le montage de ces anneaux de cristal demandaient beaucoup
de dextérité et de précision que peu d opticiens
français étaient capables d offrir si bien que leur adoption
définitive demanda un certain temps. La substitution pour le
phare du cap Fréhel fut envisagée dès 1840 car
la vieille tour présentait de nombreux défauts d isolation.
Le 22 août 1842 le sous-secrétaire des Travaux Publics
Legrand demandait la préparation d un avant-projet pour la reconstruction
de la tour suivant un programme précis. L ingénieur en
chef Méquin et l ingénieur ordinaire Boucher soumettait
à la Commission des Phares leur projet pour un total des dépenses
de l ordre de 45 000 francs tout en concluant que les anciens bâtiments
étaient dans un état de vétusté et de délabrement
qui les rendaient inhabitables et que dans ces conditions il convenait
de construire un nouveau bâtiment. Le 19 décembre 1842
leur était communiqué le type définitif remanié
par Léonce Reynaud, ingénieur en chef au Service des Phares
et secrétaire de la Commission des Phares; il comprenait une
tour octogonale en pierres de taille, de 22 mètres de hauteur
et de 3m40 de diamètre, et des logements de gardiens sur les
côtés, pour un montant estimé à 57 500 francs.
Approuvé par décision ministérielle le 17 septembre
1844 les entrepreneurs Ramard et Mercier remportèrent l adjudication
et les travaux s effectuèrent de 1845 à 1847. Pour de
multiples raisons dont l éloignement et l isolement des lieux
les dépenses s accrurent pour atteindre finalement 69 336 francs
sans compter les dépenses faites pour la lanterne et l appareil
d éclairage complet. Le nouveau feu alimenté à
l huile de colza fut inauguré le premier mai 1847; il s agissait
d un appareil lenticulaire de premier ordre de 92 centimètres
de distance focale composé de 16 demi lentilles qui tournant
fournissaient un éclat toutes les trente secondes et dont la
portée atteignait les 25 milles; l appareil optique avait été
fabriqué par la maison Létourneau et la machine de rotation
provenait de la maison Henri-Lepaute, toutes les deux situées
à Paris. Afin d en faciliter l accès le ministère
des Travaux Publics approuva en 1851 le projet de construction d une
route entre le phare et la voirie communale car auparavant seule existait
une voie non-carrossables en très mauvais état.
En 1860 la commune de Plévenon vendait 60 francs une parcelle
de 50 ares au service de la Marine pour la construction du poste électro-sémaphorique.
En juin 1874, au phare on abandonnait l huile de colza pour un nouveau
combustible jugé plus efficace et surtout moins onéreux,
le pétrole. Le Service des Phares en profita aussi pour installer
une lampe à cinq mèches concentriques plus performante.Cependant
la grande affaire de cette fin du XIXe siècle restait l électrification
des feux d atterrissage les plus importants des côtes de France.
Charles de Freycinet, ministre des Travaux Publics du 13 décembre
1877 au 28 décembre 1879, proposa un vaste plan d équipement
afin de soutenir les moyens de transport de la France, améliorer
les ports maritimes et moderniser leur outillage. Les dépenses
prévues s élevaient à six milliards de francs environ
et concernaient pour un milliard et demi les rivières, les canaux
et les ports. Les vues du ministre permirent la préparation d
un projet grandiose en ce qui concernait la signalisation maritime,
le programme général d électrification des phares
de premier ordre lequel préconisait la transformation de 46 phares
avec des appareils électriques afin de couvrir le littoral de
notre pays de manière à protéger ses abords par
une ceinture lumineuse de grande intensité. Depuis 1860 le Service
des Phares procédait à de multiples expériences
en ce domaine lesquelles débouchèrent sur l allumage le
premier septembre 1863 du premier phare électrique français
à la tour Sud des phares de la Hève, puis en 1869 au phare
de Gris-Nez mais il n était alors question de substitution complète.
La loi du 3 avril organisait ce vaste et très ambitieux chantier
et mettait à la disposition des ingénieurs une somme globale
de 6 millions de francs. D après le programme le département
des Côtes-du-Nord devait se charger de la modification de trois
feux, celui de Fréhel et ceux des Héaux-de-Bréhat
et des Sept-Iles. Immédiatement l ingénieur en chef du
département Lasné et l ingénieur ordinaire Guillemoto
étudièrent les avant-projets nécessaires pour définir
les lieux d implantation et les moyens à mettre en oeuvre. L
introduction de l éclairage électrique dans un phare exigeait
d une part la fourniture d un appareil optique adapté, de machines
électriques pour alimenter les charbons et de machines à
vapeur pour entraîner les dynamos et d autre part la construction
de bâtiments pour recevoir ces machines et abriter le personnel
plus nombreux. Pour le phare du cap Fréhel la question ne se
posait pas; la tour de 35 ans présentait une hauteur suffisante
et toutes les qualités de solidité requises par contre
il convenait de construire de nouveaux locaux. Le 5 novembre 1883 une
décision ministérielle approuvait l avant-projet et acceptait
la somme de 76 500 francs avancée pour la réalisation
des travaux. Cette estimation supposait d ailleurs, comme il était
d usage, que les appareils optiques, les machines à vapeur, la
magéto et le signal sonore seraient fournis par le Service Central
des Phares. Le bâtiment de la trompette à vapeur devait
être installé à l extrémité de la
falaise du cap, en avant du sémaphore.
Les entrepreneurs Lecerf et Merdrignac furent déclarés
adjudicataires moyennant un rabais de 12% et les travaux furent réalisés
entre 1884 et 1886 sous la direction de l ingénieur ordinaire
Guillemoto. Une fois les bâtiments achevés on entendit
les appareils et machines, mais ils ne parvinrent pas et la lumière
électrique ne devait pas briller de sitôt au phare. Une
décision ministérielle du 23 juillet 1886 arrêta
l ordre de priorité des feux électriques de grand atterrissage
qui seuls dans un premier temps devaient être équipés
immédiatement : le Créac h d Ouessant allumé le
4 novembre 1888, Goulfar à Belle-Île allumé le 5
janvier 1890, Barfleur allumé le 17 janvier 1893, Penmarc h (Eckmühl)
allumé le 17 octobre 1897, Cordouan abandonné au bénéfice
du phare de la Coubre, et la grande Foule à l Ile d Yeu allumé
le 24 mars 1895. Cette décision prescrivait d autre part d attendre
avant de compléter l éclairage des côtes de France,
..., les résultats que fournira l expérience des feux
susdits lesquels sont les plus urgents. Le choix d un éclairage
plus modeste permettait de proportionner les dépenses aux buts
à atteindre, mais l ajournement de l éclairage électrique
décidé dans une trentaine de phares entraîna l abandon
des locaux flambant neufs et pas seulement à Fréhel. Le
feu de premier ordre à éclats toutes les trente secondes
continua donc de fonctionner servi par trois gardiens qui occupaient
le seul bâtiment central construit en 1845.
En 1903 le service des phares décida la modernisation de l appareil
optique jugé désuet et démonta les demi-lentilles
de 1847 pour les remplacer par une optique lenticulaire de second ordre
(70 centimètres de distance focale) effectuant sa rotation sur
une cuve de mercure et produisant deux éclats blancs toutes les
10 secondes, caractéristiques conservées jusqu à
nos jours. La lampe à mèches concentriques fut délaissée
au profit d un éclairage plus efficace fourni par un brûleur
à incandescence par le pétrole.
Pendant le Première Guerre mondiale, le site fut occupé
par des artilleurs et trois canons de 90. Lieu stratégique, les
Allemands l'occupèrent aussi dès 1940 et ce durant toute
la Seconde Guerre mondiale ; ils fortifièrent d ailleurs l'ensemble
du cap et utilisèrent la tour du phare comme poste d'observatoire.
Les gardiens restèrent sur place dans un premier temps, afin
d allumer le feu à la demande des troupes occupantes, mais leur
présence fut considérée comme gênante et
ils durent évacuer le site. Le 11 août 1944 les Allemands,
avant leur reddition, dynamitaient la tour dont il ne restait plus rien
à la Libération. Le service des phares décida alors
d utiliser la vieille tour construite par Garengeau en 1702 pour y installer
un feu provisoire en attendant la reconstruction d un nouvel édifice.
Le phare actuel fut commencé en décembre 1946 selon les
plans de l'architecte malouin Yves Hémar et
sous la direction de Pénignel, entrepreneur
dinannais ; le feu fut allumé le premier juillet 1950.
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