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Phare de la Jument,
L'île d'Ouessant présentait à cette époque comme seule et unique marque le phare du Stiff et si l'on envisageait bien la construction d'un second fanal on préconisait aussi de signaler la roche Ar-Gazec, la Jument en breton, car "ce dernier écueil est le plus redoutable de tous; sa position avancée en mer, à l'entrée du courant du Fromveur, en fait un point de perdition pour les bâtiments venant du large, qui ont l'imprudence de s'en approcher ou qui s'y laissent affaler par des vents forcés. Il ne se passe guère d'année sans qu'il y ait de naufragés sur cette roche ou à ses abords." La situation n'évolua guère par la suite car les lieux trop inhôspitaliers ne pouvaient porter d'édifice en maçonnerie traditionnelle selon les procédé de l'époque mais les propos de l'ingénieur en chef se vérifiaient un peu plus chaque année, chaque mois. Le rapport de la Marine Nationale, demandé par le directeur du Service des Phares en juillet 1904, concernant le nombre de naufrages et les pertes en vies humaines éprouvés dans ces parages aboutissait au chiffre de 31 navires perdus entre 1888 et 1904. Si dans la majorité des cas recensés équipages et passagers parvinrent à évacuer les épaves sans grand dommage les marins du Prince-Soltikoff, vapeur anglais chargé de houille à destination de Saint-nazaire, perdu le 19 décembre 1891, connurent un sort plus tragique pour 19 d'entre eux. Plus terrible encore la catastrophe du Drummon-Castle, paquebot britannique en provenance du Cap et à destination de Londres, qui talonna et coula sur les Pierres-Vertes dans la nuit du 16 au 17 juin 1899 entraînant dans la mort 248 personnes.
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La DM du 20 février 1904 approuvait cet ambitieux projet et ordonnait la construction immédiate sur la Jument d'Ouessant d'une tourelle "en béton de ciment, dont le diamètre à la base atteindra 7 mètres au moins et dont la hauteur sera fixée en cours d'exécution de manière à permettre l'éclairage éventuel de l'ouvrage." On projetait alors le début des travaux en régie après les premières sorties de reconnaissance et l'on s'organisait en conséquence quand un événement inattendu vint bouleverser ce bel ordonnancement; un membre de la Société de Géographie de Paris, Eugène Potron, décédait le 27 mars 1904 en légant par testament une forte somme à l'État selon les termes suivants : "Je soussigné Charles, Eugène Potron demeurant à Paris rue du Sommerard, 11, lègue la somme de quatre cent mille francs, 400 000 francs, pour l'érection d'un phare, bâti de matériau de choix, pourvu d'appareils d'éclairage perfectionnés. Ce phare s'élèvera sur le roc dans un des parages dangereux du littoral de l'Atlantique, comme ceux de l'île d'Ouessant. La désignation sera celle de la localité. On gravera sur le granite, phare construit en vertu d'un legs de Charles E. Potron, voyageur, Membre de la Société de Géographie de Paris. En cas de non acceptation ou de non exécution dans un délai de six à sept ans depuis la date de mon décès, la totalité de cette somme reviendrait à la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés pour la construction de canots et d'engins de secours. Mais cette substitution ne s'effectuerait que dans l'absolue impossibilité de réaliser ma première intention; s'il est héroïque de remédier aux sinistres dans la mesure extrême des forces humaines, il vaut mieux encore les prévenir ." De la même façon le ministère
des Travaux Publics accepta cette offre généreuse. Aussitôt
le Directeur des Phares et Balises s'adressait à l'ingénieur
en chef Willotte pour précipiter les repérages
afin d'entreprendre "la construction d'un phare analogue à
celui d'Ar-Men,
sur les Pierres-Vertes, (qui) répondrait à la fois aux
vues du testateur et à celles de l'Administration. Dans l'appréciation
de la possibilité du travail nous aurons d'ailleurs à
tenir compte de la puissance des moyens qu'il nous sera possible de
mettre en oeuvre et des facilités que peut donner pour les fondations
sur les points bas l'emploi de ciment Portland coulé sous l'eau
dans des conditions expérimentées sur divers points et
notamment sur l'écueil de Rochebonne ." Après
diverses sorties sur le terrain, l'ingénieur en chef Ribière,
chargé de l'Inspection des Phares, accompagné de l'ingénieur
ordinaire de l'arrondissement de Brest, Vicaire et du conducteur
Heurté, conclurent que le meilleur site pour construire
cette tour était celui de la Jument et non des Pierres-Vertes
beaucoup trop difficile d'accès. Les travaux préliminaires
de 1903 permettaient de gagner un temps précieux et la première
campagne commença dès la fin de l'été 1904
pour préparer les fondations d'une tour de 36 mètres de
hauteur, approuvée par la DM du 18 novembre 1904. Pour réaliser
avec promptitude ce chantier d'envergure la subdivision supplémentaire,
confiée au conducteur Heurté, inaugurée
à Ouessant en 1902, servait de base d'appui et de départ;
elle disposait d'un petit navire à vapeur, la Confiance, d'une
chaloupe et d'une embarcation de sauvetage. Ses craintes se justifièrent amplement
puisque entre avril et octobre 1905 59 sorties permirent de travailler
206 heures sur la roche et d'établir environ 100 mètres-cubes
de maçonnerie soit à peine 6% du total estimé à
1700 mètres-cubes. Après 1908 le délai imparti
de sept ans se faisait de plus en plus pesant et pour améliorer
le rendement l'Administration adjoignit au chantier un nouveau chaland
plus volumineux qui portait une bétonnière et une génératrice
pour les treuils et les pompes; malgré cette attention supplémentaire
l'exécuteur testamentaire, maître Meunié,
s'inquiétait lui aussi de l'achèvement prochain de la
tour. Pour prouver sa bonne volonté le Service des Phares invita
le notaire en août 1909 pour se rendre compte par lui-même
de l'état d'avancement des travaux. En 1911 il poussa la flagornerie
jusqu'à rebaptiser le nouveau bateau de service du nom du donateur
: "mon cher camarade, j'ai l'honneur de vous faire connaître
que le bateau de travaux en construction pour votre service ... recevra
le nom de Eugène Potron pour commémorer le généreux
donateur auquel la navigation sera redevable du phare de la Jument d'Ouessant
." Tout en multipliant par ailleurs les avertissements car les
travaux ne pouvaient être prolongés au-delà de la
fatidique date du 28 mars 1911. "On devra recourir à
des artifices pour masquer le dépassement du délai imparti
et il importe de réduire ce dépassement au minimum
." Une organisation rigoureuse, une équipe zélée,
un conducteur entreprenant, des moyens nautiques et mécaniques
adaptés permirent de tenir ce fameux délai imposé
et le feu s'alluma pour la première fois le 15 octobre 1911,
mais ce fut au prix de la solidité de l'ouvrage. En l'absence
de tout aménagement intérieur les gardiens vécurent
les trois premières années de leur service dans une tour
encombrée d'ouvriers qui parachevaient les travaux de menuiserie,
de carrelage, de serrurerie, de charpente... Les défauts de raideur
apparurent rapidement car du 21 au 23 décembre 1911 une violente
tempête attaquait l'édifice qui subissait des chocs d'une
force terrible en fléchissant. La cuve à mercure laissait
échappait le dangereux métal, les vitres de la lanterne
de fendaient. Ces vibrations anormales provenaient à n'en pas
douter de la trop rapide exécution du phare qui avait conduit
les ingénieurs à réduire les dimensions du soubassement.
Dès octobre 1912 ils demandaient une augmentation des dépenses
autorisées pour renforcer cette partie fondamentale du phare
et en avril 1914 un nouveau crédit leur fut accordé, preuve
de la justesse de leurs constatations. L'ampleur des travaux de consolidation
effectués ne cessa de s'accroïtre; il se prolongèrent
jusqu'en 1924. Cependant on s'interrogeait toujours sur l'avenir du
phare; le fût n'était-il pas en voie de cisaillement ?
On profita de la guerre sous-marine à outrance déclarée
par la marine de guerre allemande et de l'extinction du feu pour tenter
de remédier aux défauts originels en cuirassant les maçonneries
fissurées par un revêtement de béton armé;
en élargissant le soubassement. Enfin en 1934 on se résolut
à fixer le phare par 3 câbles intérieurs scellés
dans la roche selon le procédé imaginé par l'ingénieur
des Ponts Coyne . |
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