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Feu des Birvideaux,
*25 septembre 1934 ;
Si la construction du phare d 'Ar Men au large de la Chaussée
de Sein demeure dans les mémoires comme le chantier le plus dangereux
et le plus fou entrepris par les ingénieurs des Ponts et Chaussées
pour ériger un phare en mer il n 'est pourtant pas celui qui
demanda les plus longs délais. Il existe un haut-fond sur lequel
les hommes attendirent un demi siècle avant de pouvoir y allumer
un feu : le plateau des Birvideaux.
Ce platier rocheux est couvert au minimum de 2,60 mètres d 'eau
et occupe une étendue de un mille de diamètre, situé
à peu près entre les îles de Goix au Nord -Ouest
et de Belle-Ile au Sud-Est. Le plateau est actuellement signalé
par une tourelle octogonale construite en mer sur la plus haute tête
et le secteur vert du feu principal de Port-Maria à l 'extrémité
méridionale de la presqu 'île de Quiberon, mais pour achever
l 'érection de cette balise, l 'Administration des Ponts et Chaussées
dut attendre plus de trente ans pour parvenir à ses fins. De
la sorte, ce chantier détient sans consteste le record absolu
de durée..
Ces hauts-fonds ne représentaient pas un véritable danger
pour les flottes de pêche et de cabotage de la région car,
d 'une part, ils sont relativement éloignés des routes
traditionnelles et , d 'autre part, ils sont recouverts d 'une hauteur
d 'eau suffisante pour les petites embarcations locales.De plus, par
gros temps, la mer brise sur l 'obstruction et l 'écume prévient
les marins du danger. Cependant la Marine de Guerre, installée
à Lorient, abritait des bâtiments dont les tonnages, et
donc les tirants d 'eau, ne cessaient de s 'accroître et elle
désirait éviter toute mauvaise surprise sur les routes
menant au port militaire. Pour ce faire il convenait de signaler par
les moyens appropriés l 'ensemble des hauts-fonds de la région.Pour
le plateau des Birvideaux seule la solution du mouillage de bouées
s 'avérait possible à la fin du XIXème siècle
dans la mesure où les techniques du moment ne permettaient pas
la construction d'ouvrage en maçonnerie sur des roches toujours
immergées en position exposée. Cette opération
fut approuvée par une décision ministérielle en
date du 14 décembre 1875 qui prévoyait d 'essayer de placer
deux bouées, l 'une au Sud, l 'autre au Nord des Birvideaux dans
des conditions de mer difficiles. Le ministère des Travaux Publics
acceptait tout en stipulant que le mouillagedes engins s 'effectuait
à la condition de prévenir les navigateurs que l 'Administration
ne peut répondre du maintien de ces bouées . Comme en
outre ces bouées étaient distantes de 2 milles, les navigateurs
pouvaient très bien passer entre elles sans les apercevoir par
temps bouché.
Cette solution réclamée avec insistance par la Marine
n ' intervint qu 'à la suite de longues et fastidieuses discussions
et de nombreuses divergences ; elle n 'apporta en définitive
aucune amélioration sensible car les navigateurs prudents devaient
opérer comme si le balisage n'existait pas dans la mesure où
sa tenue restait très aléatoire au moins pendant la période
hivernale.
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Pour l'ingénieur des Ponts
et Chausées, Léon Bourdelles, chargé du service
maritime à Lorient, ces bouées pouvaient même aggraver
la situation et les dangers naturels car elles conduisaient sur le plateau
des navires à la recherche des engins qui, s 'ils n 'étaient
pas absents, étaient souvent invisibles par mer formée.
Il continuait dans son rapport du 20 février 1879 en ajoutant :
aussi n 'est-ce qu 'à défaut d 'autres moyens praticables
que cette solution a été adoptée en raison des difficultés
et des dépenses qu 'entrainerait la construction d 'une tourelle
sur le sommet du plateau à 2m60 en contrebas des basses-mers
et pourtant il était clair que cette construction aurait donné,
de l 'avis unanime, satisfaction complète aux voeux de tous les
marins, militaires,pêcheurs et du commerce.
Pour tenter d 'améliorer le balisage notre ingénieur proposa
de tenter d 'installer une balise en fer de 18 mètres de hauteur
portant un voyant de 7m2 de surface ; l 'ouvrage prévu devait être
visible à plus de 2000 mètres, c 'est à dire bien
au-delà des brisants du plateau. Il présentait de plus l
'intérêt de signaler directement le haut-fond et de conjurer
les échouages que les bouées même supposées
stables ne préviendraient que très incomplètement
. Le support métallique était composé d 'une série
de tubes emboîtés de 300 à 150 millimètres
de diamètre, de la base au sommet. Cette fabrication ne demandait
pas d 'efforts particuliers car elle était déjà courante
et largement utilisée par la marine militaire pour ses épontilles.
L 'expérience avait d 'ailleurs été tentée
avec succès par cet ingénieur quelques années auparavant.
Il avait préconisé l 'emploi de ces tubes pour la restauration
d 'une balise exposée à la houle du large à Port-Maria
sur l 'île de Groix. Ainsi donc les avantages théoriques
du système peuvent être pratiquement réalisés
avec certitude . Il ne restait plus qu 'à opérer et notamment
à forer, sous l 'eau, un trou de 40 centimètres de diamètre
pour 150 centimètres de profondeur ; forage qui devait s'effectuer
sans autres difficultés sérieuses que celles qu 'amènerait
le mauvais temps . Des trous de même diamètre et d 'une
profondeur plus grande avaient été obtenus en rade Cherbourg
dès1867 avec une installation simple et des appareils de forage
ordinaires : le chantier, a priori, ne présentait aucune difficulté
particulière.
L 'appareillage se composait d 'un mât d 'une vingtaine de mètres
de hauteur maintenu vertical par quatre haubans frappés sur des
ancres et raidis par des palans. Le trépan, soulevé par
quatre hommes placés dans une embarcation, était mis en
rotation par un ouvrier placé sur le mât et, grâce
à un système à déclic, se déclanchait
puis tombait en chute libre. Un tube dirigeait le trépan et le
garantissait contre les déviations des courants. Ce matériel
utilisé par la marine militaire pour le déroctage des passes
de Lorient était en bon état et disponible dans le port
militaire ; il fut prêté sans problème au service
des Ponts et Chaussées. Ce système de construction présentait
aussi un intérêt du point de vue des applications ultérieures
qui devaient s 'avérer une ressource nouvelle pour le balisage.
L 'ensemble de l 'opération était estimé à
6 000 francs-or de l 'époque et se décomposait comme suit
: support tubulaire de 4 467 francs, voyant et accessoires pour 522 francs
et somme à valoir pour le forage et la mise en place de la balise
de 1011 francs.
Une décision ministérielle du 26 avril 1879, tout en émettant
des doutes sur les possibilités de l 'implantation de la balise,
approuva le projet. Les travaux débutèrent au cours de l
'été 1880, le17 août et s 'achevèrent le 8
septembre. On avait atteint une profondeur de 144 centimètres quand
une tempête brisa et emporta l 'appareil de forage. Pendant 23 jours
l 'opération de forage proprement dite permit de donner 36 610
coups de trépan, soit une moyenne de 255 coups par centimètre!
La résistance de la roche et les mauvaises conditions atmosphériques
n 'autorisèrent donc pas l 'achèvement du trou prévu
pour recevoir la balise au cours de cette première campagne. Le
plateau s 'avérait en effet intenable, au moins pour le plongeur,
dès que la brise se levait c 'est à dire dès que
l 'accès en était possible pour un bateau à voile.
9 septembre : parti avec le Furet à 6 heures du matin. Mât
disparu. Nous ne pouvons nous approcher trop par la mer...Pendant cette
campagne d 'un mois de fatigues et de travail, tout le personnel a montré
une énergie et un zèle à toute épreuve. Pas
un seul accident n ' a eu lieu. Il est bien à regretter que toutes
ces fatigues n 'avaient pas été couronnées de succès.
Conducteur Louis, le Palais .
L 'année suivante la décision ministérielle du 21
mars 1881 portait les dépenses autorisées au chiffre de
19 000 francs soit une augmentation de 13 000 par rapport aux estimations
optimistes de Bourdelles. Les recherches du trou déjà foré
ne purent cependant être effectuées car le conducteur principal
de Belle-Ile démissionnaire en juillet ne fut remplacé qu
'en décembre. En avril1882 un scaphandrier fut embauché
pour tenter de retrouver sous l 'eau le forage inachevé de 1880
mais sans succès si bien que la subdivision du Palais décida
d 'utiliser les grands moyens. Elle envoya au port militaire de Lorient
un marin, fonctionnaire des Travaux Publics pour y apprendre le métier
de plongeur afin de disposer d 'un efficace employé au moment voulu.
Hélàs, au mois d 'août, lorsque les conditions permirent
une descente sur le plateau, le marin nouvellement formé avait
déserté pour s 'embarquer sur un bateau de pêche.
Nous nous trouvions à nouveau dépourvu de scaphandrier et
la campagne de 1882 fut également perdue comme le signalait l
'ingénieur ordinaire Herpin.
En 1883 aucun crédit ne fut ouvert pour le travail en question
et il fallut attendre 1884 pour redescendre sur les Birvideaux toujours
dans le seul but de retrouver le forage. Le directeur des Phares et Balises
s 'inquiétait de la lenteur des travaux et appellait le 18 février
l 'attention de l 'ingénieur en chef à Vannes, Cordier,
"sur une affaire de votre service qui a subi de bien regrettables
retards et avec laquelle il importe d 'en finir : je veux parler du balisage
du dangereux écueil des Birvideaux ". Pour mettre toutes
les chances de leur côté les responsables du chantier décidèrent
d 'emprunter un bateau à vapeur au service du balisage du Finistère.
Attaché en permanence au port du Palais de mai à septembre
il devait porter sur le plateau au premier moment favorable, par calme
plat, le scaphandrier et l 'équipe chargée du travail, mais
il n 'arriva jamais. Les recherches furent donc interrompues car on manquait
de tout : d'outillage, du bâtiment à vapeur indispensable,
de scaphandrier... Le danger des Birvideaux n 'avait pas disparu pour
autant et, toujours aussi mal signalé, il demeurait l 'objet de
nombreuses réclamations de la Marine qui craignait pour sa flotte.
L'échouage du cuirassé d 'escacre la Dévastation
en 1881 sur les Trois-Pierres devant Lorient puis le naufrage du Fulminant,
bâtiment de la défense côtière, en 1886 dans
le passage du Four sur les Vinotières rappellaient l 'urgence de
l 'implantation de balises sur ces hauts-fonds.
Pour répondre aux demandes insistantes de la Marine, l 'ingénieur
ordinaire Sigault reprenait, en mars 1888, la solution de Bourdelles
en soulignant qu 'il n'était pas trop pessimiste et croyait qu
'en perfectionnant l 'appareil de forage, tout en surveillant le travail
de très près, on pouvait mener à bien l 'opération
qui consistait à forer ce trou de 150 centimètres de profondeur
pour 40 centimètes de diamètre. En reprenant les chiffres
de la campagne de 1880 il constata qu 'une seule journée avait
manquée pour achever le forage ; il convenait donc d 'accélérer
la vitesse du trépan. Toute l 'installation de forage ayant été
emportée par la mer le 6 septembre 1880, Sigault se mit en rapport
avec le constructeur de l 'appareil, ou plutôt de son successeur,
Paulin Avrault, rue Rochechouart à Paris, pour obtenir le matériel
nécessaire.
Les dépenses faites jusqu 'alors s 'élevaient à 16
096 francs auquel il fallait ajouter 10 000 francs pour solde de la future
campagne demandés par les ingénieurs du Morbihan. Réunie
le 21 avril 1888 la Commission des Phares, où siégeait dorénavant
Bourdelles, devait se prononcer sur le projet. D 'abord elle constata
l 'échec de 1880 et déplora que l 'installation était
par trop subordonnée aux circonstances de mer rendant aléatoire
le succès définitif. Aussi nous pensons qu 'avant de donner
suite aux propositions de M.M. les ingénieurs du Morbihan et d
'engager la dépense assez considérable qu 'elles comportent
il serait opportun de procéder à un essai de balisage au
moyen de bouées . Cet essai fut bien entendu retenu et l 'on mouilla
une bouée Gouëzel n°2 à 500 mètres environ
dans le Sud de la tête la plus élevée des Birvideaux.
Les choses en restèrent là jusqu'au 26 septembre 1895 lorsque
Bourdelles, devenu directeur de Service des Phares, confirmait les instructions
données au cours de sa tournée d 'inspection estivale en
vue des études à faire pour l 'installation d 'une balise
munie d 'un feu permanent. Pourquoi cette reprise des travaux sur les
Birvideaux? En fait pour deux raisons majeures : d 'une part la Marine
venait de découvrir en 1894 un nouveau haut-fond à proximité
des Birvideaux ce qui consistait un motif supplémentaire de récréminations
et d 'autre part le Service des Phares achevait la construction d 'une
tourelle en béton armé sur l 'écueil des Trois-Pierres.
Les travaux, commencés en 1891, avaient exigé trois campagnes
seulement. Pour réaliser cette construction, sur une tête
de roche toujours immergée, l'ingénieur de Lorient, Mallat,
avait imaginé un procédé totalement inédit.
Il conçut le projet de constituer le massif de fondation au moyen
de trois assises de ciment pur coulé dans des enceintes de sac
de ciment sur lequel on établi en 1894 une tour-balise en forme
de tronc de pyramide octogonale. Le feu fut allumé le 4 janvier
1896. Dans ces conditions Bourdelles considérait qu 'il était
tout aussi possible de réussir la construction d 'une tourelle
sur les Birvideaux. Ce mode de construction de fondations entièrement
sous-marines était de toute manière parfaitement connu des
ingénieurs des Ponts qui l 'avaient inauguré en Méditerranée
dès 1859 à la Cassidaigne en face de Cassis puis en 1862
à la Cride entre Bandol et Sanary. Dans les deux cas les tourelles
avaient été fondées sur un massif en ciment mis en
place par des scaphandriers mais jamais en position très exposée
aux lames du large.
La machine administrative lancée, le 26 novembre 1895 une décision
ministérielle invitait MM. les ingénieurs du service maritime
à étudier les conditions d 'installation, sur le plateau
des Birvideaux, d 'une tourelle en maçonnerie susceptible de porter
un feu permanent . La charge de cette étude incomba encore une
fois à Mallat. La goëlette de travaux précédemment
affectée en Charente rejoignit le Morbihan en 1896 et fut rebaptisée
à cette occasion Gouëzel en l 'honneur d 'un conducteur
fameux, inventeur de la bouée éponyme. Mais déjà
l 'entreprise se présentait plutôt mal ; en effet le 15 janvier1898
les ingénieurs du Morbihan faisaient connaître qu 'ils n
'avaient pu, au cours de la campagne 1897 procéder à la
reconnaissance complémentaire du plateau des Birvideaux qui leur
avait été demandée par le directeur Bourdelles. Déjà
les ingénieurs s 'interrogeaient : le mode de fondation employé
avec succès aux Trois-Pierre était-il suffisant pour réussir
aux Birvideaux? c 'est une question assez délicate parce que la
profondeur des fondations est notablement plus grande... et qu 'en outre
aux Birvideaux la mer est beaucoup plus grosse et l 'accès plus
difficile soulignait le 14 janvier 1897 l'ingénieur en chef Willotte.
Pourtant cette reconnaissance fut effectuée durant l 'été
1898 et l 'ingénieur en chef annonçait alors que des propositions
fermes seraient présentées à bref délai tout
en ajoutant que les travaux ne pourraient probablement pas être
commencés en 1900. Mais plus rien ne fut transmis à Paris
sur le sujet et l 'Inspecteur général Quinette de Rochemont,
nouveau directeur des Phares et Balises, s 'inquiétait. Le 5 décembre
1900 il fustigeait ses subordonnés en ces termes : "votre
compte de tournée de cette année (1900) laisse entendre
que vous avez interrompu les études demandées par l 'Administration.
Il n 'appartient pas aux ingénieurs de le faire sans décision
nouvelle ; les résultats obtenus sur d 'autres points du littoral
sont d 'ailleurs de nature à inspirer confiance dans le succès
de la construction à entreprendre aux Birvideaux ".
Malgré les réussites de la tourelle des Trois-Pierre déja
citée, mais aussi celle de la Horaine au nord de Bréhat
achevée en 1897, Il est clair que les ingénieurs locaux
étaient très pessimistes quant aux chances de succès
d 'une telle entreprise quoiqu 'en pensait leur supérieur et ils
avaient tenté d 'étouffer l 'affaire profitant du décès
de Bourdelles en 1899 et de la désorganisation temporaire
du Service. Leur stratagème ayant échoué, contraints
mais non convaincus, ils reprirent les études demandées
et se plièrent aux insistances parisiennes. En 1901 la première
campagne pouvait donc débuter mais comme le service ne disposait
pas d 'un bateau de travail à vapeur pour épauler l'équipe
il apparut rapidement qu 'il était inutile d 'espérer remplir
la tâche avec la seul aide de la goëlette à voile seule
disponible. Les conditions n 'étaient guère plus réjouissantes
en 1902 si bien que le directeur informa le 24 juillet le nouvel ingénieur
en chef du Morbihan, Lebert, qu 'il lui paraissait impossible d'entreprendre
avant la campagne prochaine l 'ouvrage des Birvideaux et demandait de
faire les propositions pour les travaux à effectuer en 1903.
Cependant le 28 novembre 1902 l 'ingénieur ordinaire Verrière
présentait un rapport très complet concernant le mode de
fondation et les dimensions de l'ouvrage : les fondations comprises entre
la cote 4m des cartes hydrographiques et la cote 1,5m au dessus du zéro
des cartes seront établies en ciment pur à grosses moutures
coulé dans des enceintes en toiles métalliques. Le massif
proprement dit comprendra trois assises cylindriques... . Pour rédiger
ce texte l 'ingénieur se basait sur la méthode déjà
opérationnelle pour les tourelles des Trois-Pierres et de la Basse-Catic
à l 'entrée du port de Quiberon mais aussi sur les observations
du conducteur Milon envoyé à Rochebonne pour analyser les
travaux alors en cours et analogues à ceux projetés pour
les Birvideaux. Pour la campagne 1903 il était prévu l 'établissement
du chantier sur une forte gabarre amarrée à quatre bouées.
Ce bâtiment portait l 'approvisionnement en ciment, soit 60 tonnes,
et la bétonnière mais les premiers travaux de construction
ne débutèrent qu 'en 1905. Le vieux baliseur l 'Éclaireur
de la Gironde avait rejoint le Morbihan pour prêter main forte à
l 'équipe.Ce vapeur, un des plus anciens du service nous est arrivé
en 1905. La chaudière date de 1897 et est bien fatiguée;
le foyer surtout, au point de vue sécurité, laisse énormément
à désirer . En mars le bâtiment est mené à
Nantes où la société des Chantiers de Bretagne changea
la chaudière à bout de course et revint en mai à
Lorient.
Le chantier pouvait commencer réellement et cet été
là on plaça le casier central de la première assise
ainsi que trois casiers périphériques ; en 1906 la première
assise était achevée. L'année suivante le casier
central de la seconde assise et deux casiers périphériques
étaient installés. En 1908 et 1909 on acheva cette deuxième
assise ; en 1910 on attaquait le troisième étage, le plus
pénible et le plus délicat à réaliser car
situé au niveau du zéro hydrographique dans une zone de
remous et de vagues permanents. Les travaux avançaient au ralenti
et pourtant l 'avis aux navigateurs n°1857 précisait que le
noyau central du massif en maçonnerie émerge actuellement
à basse mer d'environ un mètre; ce noyau à la forme
d 'un cylindre de 5 mètres de diamètre . Les années
1911, 1912, 1913 et 1914 ne furent guère plus prometteuses ; le
coulage du béton sur ce haut-fond s 'éternisait d 'autant
plus que les accidents s 'accumulaient : la gabare la Réussite
coula le 5 juin 1914 avec ses 140 tonnes de ciment. Ensuite le chantier
fut interrompu le 8 août 1914 pour fait de guerre.La mobilisation
des scaphandriers et la levée d 'une partie des équipage
de la gabarre et de l 'Éclaireur désorganisèrent
complètement la campagne. Cependant dès le mois de mai suivant
la campagne recommençait toujours avec l 'Éclaireur, le
baliseur à voile Gouézel et la gabarre Birvideaux. En 1915
et 1916 quatre nouveaux casiers périphériques étaient
posés, les soubassements étaient pratiquement achevés
dans des conditions très pénibles car les travaux exigent
la présence prolongée du personnel sur un chantier composé
de bateaux à l 'ancre, à 8 milles du port le plus rapproché.
Dans ces conditions donc, nous estimons qu 'il serait juste de reconnaître
les qualités dont ont fait preuve les capitaines et marins du baliseur...
en leur allouant des indemnités exceptionnelles... D 'autre part
il convient de faire ressortir le dévouement de M. le Sous-Ingénieur
Le Govic qui, malgré son état de santé, (épuisé
il vient d 'obtenir un congé de maladie de 3 mois), a tenu, sans
aucune défaillance, à surveiller ces travaux si fatigants,
n 'ayant qu'un but : mener à bonne fin les travaux qui lui tiennent
tant à coeur , Lorient le 30 novembre 1916, l'ingénieur
Bernard. Tout semblait enfin sourire et le premier 1917 la dernière
campagne pour achever le soubassement débutait. Hélas, depuis
deux mois, les sous-marins allemands avaient élu résidence
au large de Belle-Ile et cannonaient tous les bâtiments qui s 'approchaient
de nos côtes par convoi :
en mars, le Rutenf-Zell, vapeur hollandais, est torpillé
devant Kerdonis,
le Thracia, vapeur anglais de 2891 tonneaux, est coulé à
un mille des Birvideaux,
le Ponto-Poros, vapeur de 10 000 toneaux, est coulé auprès
des Birvideaux,
le Nann-Smith, vapeur de 1500 tonneaux,est coulé auprès
des Birvideaux,
le Stanford, vapeur de 1476 tonneaux, est coulé auprès
des Birvideaux,
le bateau pilote N°3 de Saint-Nazaire est coulé au Sud
de la pointe de Quiberon,
le bateau-pilote N°3 de Belle-Ile, est coulé en plein
jour au large de Goulfar,
un vapeur norvégien saute sur une mine devant Kerdonis,
le Cairnstrath, vapeur anglais est torpillé devant le Pilier,
plusieurs dundées de pêches sont canonnés et coulés
devant les Grands Cardinaux,
deux dundées de pêche connaissent le même sort le 29
avril 1917 devant Groix...
La présence des sous-marins et des mines compromettaient la sécurité
dans ces parages où devaient s 'effectuer les travaux après
le mouillage du Gouézel et du Birvideaux, alors que l 'Éclaireur
assurait le ravitaillement et l 'approvisionnement du chantier. Le stationnement
permanent en plein été de ces deux bâtiments était
jugé trop dangereux par le commandant de la flotille de vedettes
de Belle-Ile. Deux cibles trop faciles pour les marins allemands si bien
que par la décision ministérielle du 14 mai les travaux
furent suspendus jusqu 'à ce que les circonstances permettent de
les reprendre avec plus de sécurité . Le chantier s 'endormit
pour cinq ans.En 1918 les sous-marins rôdaient toujours. En 1919
la nécessité de réorganiser les services puis en
1920 la nécessité de procéder aux travaux de réparation
les plus urgents obligèrent à différer jusqu 'en
1921 les travaux aux Birvideaux.
Plus de bateau non plus car des mesures urgentes de remise en état
du balisage devaient être prises : aussi nous pensons qu 'il est
plus urgent de réparer et de visiter les bouées que de s
'occuper cette année du balisage du plateau des Birvideaux. Plusieurs
autres raisons confirment notre opinion : manque de main d 'oeuvre, manque
de matériel de mouillage, manque de ciment à grosse mouture
, le 7 février 1919, l 'ingénieur en chef Verrière.
De plus l 'Éclaireur était à bout de souffle, totalement
incapable d 'effectuer une campagne entière, si bien qu'il fut
vendu aux enchères à Vannes le 27 mars 1920 avec la goëlette
Gouëzel d 'ailleurs. Pour le remplacer, le service maritime du Morbihan
racheta un chalutier récent, le Godetia, construit à Nantes
en 1917 par les chantiers de Bretagne. Il s 'agissait d 'un élément
d'une série de chalutiers patrouilleurs de type Camélia
de 20 mètres de long équipés d 'une machine de 180
chevaux que la Marine nationale revendait aux Domaines. Il arriva à
Lorient en février 1920 et fut baptisé Georges de Joly ,
le premier du nom, en souvenir d 'un brillant ingénieur du Service
des phares décédé quelques mois auparavant. Le baliseur
Léonor Fresnel arriva des Côtes-du-Nord en renfort en 1931
et resta dans le Morbihan jusqu 'à la fin des campagnes, en avril
1934 ; complètement usé il ne fut pas d 'une grande utilité.
Au cours de cette première année de reprise, en 1921, l
'équipe nettoya le massif recouvert par les algues et consolida
les casiers les plus endommagés. En 1922 on acheva enfin la troisième
assise et la construction de la tourelle en elle-même commençait.
L 'ingénieur Quesnel dressa alors les plans des superstructures
prescrites pour surmonter le massif de fondation achevé. Il présenta
d'ailleurs, dans un premier temps, un projet très original puisqu
'il imaginait une tour habitée d 'une conception très semblabe
à celle du phare de Kéréon achevé en 1916.
Mais cette étude fut refusée car contraire à la politique
d 'économie du Service des Phares. La région des Birvideaux
ne présentait pas une importance nautique suffisante qui justifia
les frais jugés considérables d 'un phare gardé.
Les feux permanents assurent maintenant partout ailleurs un éclairage
suffisant en intensité et sécurité pour qu 'on en
étende sans arrière pensée le type à l'ouvrage
qui nous intéresse , Paris le 10 août 1922, le directeur
Babin. Une tour en maçonnerie pleine en forme de tronc de
pyramide octogonal fut finalement retenue.
Le travail reprit en 1923. Au cours de l 'été il était
prévu de forer dans le massif de soubassement en béton une
centaine de trous pour recevoir des armatures métalliques destinées
à l 'amélioration de la liaison de la superstructure et
du massif. Pour ce faire un compresseur s 'avérait indispensable
ainsi qu 'un bâtiment de service asssez moderne pour porter cet
équipement. Le Blocqueville, bateau de travail affecté au
département du Finistère, et momentanément innoccupé,
devait rejoindre Belle-Ile au début de la belle saison. Ce bâtiment
comportait à son bord une installation d 'air comprimé qui
permettait d 'actionner deux ou trois marteaux pneumatiques mais très
vite on s 'aperçut que le Blocqueville n 'était pas en très
bon état. Les services du Morbihan durent réparer dans l
'urgence si bien qu 'en définitive la campagne de forage se déroula
sur cinq jourq seulement à la fin du mois de septembre. En 1924
le service du Morbihan demanda la venue du Blocqueville beaucoup plus
tôt dans la saison pour, pensait-il, achever la tàche le
plus rapidement possible au cours de l 'été. Si l 'état
de la mer le permet, nous pensons reprendre les travaux de forage sur
le massif de fondation de la tour des Birvideauax à la vive-eau
des premiers jours de mai prochain, en conséquence nous avons l
'honneur de prier M. le directeur de bien vouloir donner les instructions
au service du Finistère pour que cette vedette puisse être
envoyée à Palais (Belle-Ile) pour le 30 avril prochain...
,Vannes, le 15 avril 1924, l 'ingénieur ordinaire Quesnel.
Mais les difficultés ne cessèrent pas pour autant ; le bâtiment
n 'arriva en mauvais état dans le Morbihan qu 'en septembre encore
une fois et ne put sortir car le mauvais temps le contraignait à
rester à l 'abri. Tant et si bien que l 'ouvrage ne fut accosté
que quelques jours cette année là!
Le Directeur compatissait et comprenait l 'abattement des ingénieurs
lorientais mais promettait aussi, par une lettre du 11 décembre,
que le Blocqueville serait mis à leur disposition dès le
début de la campagne prochaine, en avril, pendant laquelle vous
devrez tout tenter pour réussir et achever les forages . Entretemps
la décision ministérielle du 5 juillet 1924 fixait le montant
des dépenses autorisées pour l 'achèvement de la
tourelle à 665 000 francs. Au début de 1925, le service
morbihannais s 'organisa et décida d 'acheter un groupe compresseur
autonome afin de réaliser les travaux sur l 'écueil sans
la présence indispensable du Blocqueville. De cette manière
il devenait inutile d 'attendre en rongeant son frein que les voisins,
eux mêmes surchargés, puissent libérer le bâteau
si demandé. Pour autant les forages ne furent pas achevés
aussi rapidement que souhaités, loin de là. Si l 'on s 'en
tient aux carnets de travaux pour les campagnes 1925, 1926 et 1927 on
peu lire chaque année: continuation du forage des trous de scellement
des barres d 'acier dans les fondations. Cinq ans pour la perforation!
Par la suite le chantier ne connut plus de problèmes particuliers
si ce n 'est la lenteur. Les archives d 'ailleurs sont pratiquement muettes
sur les dernières campagnes. Dans un style très laconique
on apprend qu 'en 1928 les premiers secteurs en béton de l 'octogone
sont coulés ; qu 'en 1930 on achève la première couronne
du soubassement et qu 'en 1934, enfin, le massif est terminé. Il
faut d 'ailleurs noter que cette tourelle comporte à son sommet
un couronnement en pierre de taille provenant des carrières de
la Contrie à Chantenay, aux abords de Nantes. Les ingénieurs,
jusqu 'au bout, n 'ont pu se résoudre à abandonner en mer
un édifice construit seulement en béton et acier ; il convenait
de ceindre cet édifice d 'une couronne à la hauteur de son
rang. On procéda aux premiers essais de feu le 26 août de
cet été là, sans tapage aucun d 'ailleurs, et le
8 novembre 1935 un avis au navigateur prévenait de l 'allumage
définitif d 'un feu blanc à occultations toutes les 4 secondes.
Les caractéristiques du feu sont modifiées dans les années
60 et les occultations abandonnées pour deux éclats blancs
qu 'il conserve encore aujourd 'hui. L 'alimentation au gaz des débuts
fut abandonnée en 1991 lorsque le feu a été solarisé.
Allumé au bout de cinquante ans d 'effort, il s 'agit en la matière
d 'un record incontestable et pourtant ce chantier demeure pratiquement
inconnu du Service des Phares et surtout du public. A tous les égards
cependant il mérite une attention toute particulière ne
serait-ce que par l 'énergie dépensée ; 7 conducteurs
dont Louis, Milon, le Govic, Rocher, le Son et Corvec ont suivi
le chantier ; 8 ingénieurs en chef dont Bérard, Massé,
Willotte, Lebert, Verrière, Perret ; 8 ingénieurs ordinaires,
Sigault, Mallat, Verrière, Tarnier, Méchin, le Bourhis,
Bernard, Quesnel, sans compter les scaphandriers, les marins (pas
moins d 'une vingtaine par campagne), et bien sur les maçons au
moins une quizaine chaque été...
Sans oublier non plus le budget faramineux englouti dans cette aventure.
Comme les campagnes s 'étalent sur un demi siècle il est
pratiquement impossible de convertir les budgets annuels pour obtenir
une somme globale d 'un intérêt fiable mais selon toute vraisemblance
les sommes allouées pour la construction de cet édifice
s 'avèrent être les plus importantes jamais dépensées
en France pour la réalisation d 'un établissement de signalisation
maritime. D 'après mes recherches 300 000 francs avaient été
dépensés au premier janvier 1915 ; autant entre 1915 et
1924 mais en une période où sévissait une forte inflation.
À ces sommes il convient d 'ajouter les 665 000 francs octoyés
en 1924 par décision ministérielle non compris des dépenses
supplémentaires difficiles à évaluer car il n 'existe
dans les archives aucun récapitulatif budgétaire. Mais,
par exemple, les pierres de taille du couronnement commandées en
décembre 1933 coutèrent en plus à l 'Administration
40 250 francs et les frais d 'acquisition et de réparation des
bâtiments utilisés pour le chantier grossissent encore le
total. Sans conteste plus que pour Ar Men et sans doute autant que pour
Kéréon jusqu 'à présent considéré
comme le chantier le plus onéreux jamais achevé sur les
côtes de France. La tour ne présentait aucun caractère
architectural de quelques intérêts. Les techniques utilisées
et les matériaux mis en oeuvre avaient déjà connu
des résultats positifs sur d 'autres chantiers. Aucun mort, aucun
accident, aucune difficulté insurmontable, l 'épopée
ne pouvait germer.Sans doute le résultat obtenu ne contribuait
ni à la grandeur ni à la confirmation du mythe établi
concernant le Service des Phares si bien qu 'il échappa à
la légende.
* 25 septembre 1935 : feu blanc à occultation toutes les 4 secondes,
* 1962 : feu à deux éclats blancs toutes les 6 secondes,
* juillet 1991 : installation des panneaux solaires. |